La prière et l’attention

La prière et l’attention
Julie Richard, membre de L’église unitarienne de Montréal
3 mars 2021

(an English translation can be found below)


Quelqu’un que j’ai profondément aimé m’a dit que "prier, c’est parler avec Dieu ; alors que méditer, c’est l’écouter". Quand est-ce qu’on choisit de parler, de s’exprimer, de demander, de nommer les choses ? Quand est-ce qu’on choisit plutôt de faire silence en soi, pour entendre la sagesse, l’inspiration, s’installer en nous pour amener une perspective différente de celle qui tourne dans nos pensées habituelles ?

Je porte en moi l’histoire des gens qui m’ont amené ici. L’histoire de ma grand-mère qui préférait prier Sainte-Anne, parce que seule une femme pouvait comprendre ce qu’elle vivait, et qui avait commandé une statuette quand elle était enceinte de son 7e enfant, alors que la grossesse se présentait très mal…

L’histoire de ma mère et de mes frère qui préfèrent passer par ma grand-mère pour prier, d’abord parce que c’est moins intimidant et surtout parce qu’elle est tellement bien connectée que mieux vaut passer par elle pour qu’elle transmette le message à qui de droit. Ma grand-mère serait donc lobbyiste de famille, de son vivant, mais après son vivant encore ! L’histoire de mon ancienne belle-sœur -un peu étrange- qui disait que les gens priaient mal, qu’il n’étaient pas assez précis dans leur demande, nous racontant qu’elle avait décrit avec précision ses demandes de fioritures de robe et souliers de mariage pour les trouver exactement comme demandé en friperie la semaine suivante. L’histoire de mon père qui ne dit rien de ses prières, mais qui jardine longtemps, marche dans la forêt, regarde les oiseaux et je ne sais pas s’il forme des mots, des phrases, pour exprimer sa gratitude ou ses craintes quand il est seul avec lui-même. Ce que je sais, c’est que s’il entretient une conversation avec la partie divine de ce qui l’entoure ou qui est en lui, il la gardera pour lui, assurément. Alors je suis presque étonnée d’avoir eu, jeune enfant, une relation intime avec un dieu sans majuscule, que l’on tutoie comme un ami imaginaire, avec qui on réfléchit le monde, essayant de le comprendre à deux.

Je me rends compte aujourd’hui que la prière ne fait pas partie de mes rituels, mais que j’ai trois types de prière qui persistent dans ma vie, involontairement. D’abord, il y a les demandes urgentes, les moments de la vie où tout semble désespéré et où j’ai besoin de chance, d’alignement des hasards, pour que ma vie fonctionne comme j’ai besoin. Incidemment, je n’ai jamais autant prié qu’entre 17h30 et 18h00 dans les transports en communs, les jours de semaine, avec l’espoir d’arriver à temps à la garderie ou au service de garde avant la fermeture. Ces prières fonctionnent extrêmement bien si utilisées avec parcimonie, mais me donnent toujours l’impression coupable d’avoir utilisé un super-pouvoir pour arrêter le temps/changer les lumières/limité le nombre de gens aux arrêts d’autobus. Et donc, j’imagine toujours que ça doit avoir mis quelqu’un d’autre en retard quelque part et que ça salit mon karma, ou quelque chose du genre.

Ensuite, il y a les moments lourds, les moments où mes amours m’ont déchiré le cœur pour l’éparpiller dans les rues sombres et où d’être seule avec moi pourrait être dangereux. Quand la tristesse surplombe le reste, quand la colère n’est plus là pour canaliser l’envie de changer les choses et qu’il ne reste que la douleur vive… Une autre envie de prière arrive. Une espèce de demande de me porter, de m’entourer, d’ouvrir l’air devant moi pour me laisser marcher sans sentir l’épaisseur de la brume m’encerclant constamment. Un appel à ne pas être seule, quand tout le reste fait mal. Ces prières sont extrêmement rares… Quand je les fais, je sens alors tout autour de moi, ce dont j’ai besoin : être prise dans des bras doux ou être libérée et légère. Et si c’est un effet placébo que je sens autour de moi, ignorant si c’est moi qui le crée, ça me va aussi. L’important, c’est que ça me protège extrêmement bien aux moments charnières et décisifs.

Finalement, et celui-là est de plus en plus fréquent, il y a les moments de grâce. Je marche, je respire, je sens la chaleur, je vois la beauté, et d’un coup je ressens l’amour tellement fort, émergeant de tout et de partout, en moi et tout autour ! Et à ce moment précis, un merci adressé à "qui de droit" se construit en moi et me glisse même parfois des lèvres. Une micro-prière qui ne demande rien. Un mot pour souligner le bon et nommer son passage dans une mer d’impermanence. L’attention, elle, la méditation, faire le silence patiemment pour laisser venir et émerger, ça n’est pas ma facilité. Un jour peut-être… Bientôt, peut-être… Ou peut-être comme un projet de retraite, qui sait!

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Prayer and Attention
Julie Richard, Member of the Unitarian Church of Montreal
3 March 2021

Someone I deeply loved told me that “to pray is to speak with God; to meditate is to listen to him.” When do we choose to speak, to express ourselves, to ask, to name things? When do we choose instead to be silent within ourselves, to hear wisdom, inspiration, settle down within ourselves to bring a different perspective from the one that comes in our usual thoughts?

I carry within me the story of the people who brought me here. The story of my grandmother who preferred to pray to Saint Anne, because only a woman could understand what she was going through, and who had ordered a statuette when she was pregnant with her 7th child, when the pregnancy was very bad...

The story of my mother and my brothers, who prefer to pass by my grandmother to pray. First because it is less intimidating, and especially because she is so well connected that it is better to go through her to get the message across to whomever. So my grandmother would be the family lobbyist, while she was alive, but after as well!

The story of my former sister-in-law —a bit strange— who said that people prayed badly, that they were not precise enough in their requests, telling us that she had precisely described her requests for a wedding dress, shoes and trimmings; only to find them exactly as requested in a thrift store the following week. The story of my father who says nothing of his prayers, but gardens for a long time, walks in the forest, looks at the birds. I don't know if he forms words, sentences, to express his gratitude or his fears when he is alone with himself. What I do know is that if he has a conversation with the divine part of what surrounds him or is within him, he will definitely keep it to himself. So I'm almost surprised to have had, as a young child, an intimate relationship with a god without capital letters, whom one can get along with like an imaginary friend, with whom one reflects on the world, trying to understand together, the two of us.

I realize today that prayer is not part of my rituals, but that I have three types of prayer that persist in my life, involuntarily. First, there are the urgent requests, the moments in life when everything seems desperate and when I need luck, the alignment of chance, to make my life work the way I need it to. Incidentally, I have never prayed as much as between 5:30 and 6:00 p.m. on public transportation, on weekdays, hoping to get to daycare before it closes. These prayers work extremely well if used sparingly, but still make me feel guilty, like using a superpower to stop time/change lights/limit the number of people at bus stops. And so I always imagine that it must have made someone else late somewhere and messed up my karma or something.

Then there are the heavy moments, the moments when my loves have torn my heart apart and scattered it in the dark streets, when being alone with myself could be dangerous. When sadness overwhelms everything else, when anger is no longer there to channel the desire to change things and all that is left is sharp pain... Another desire for prayer comes. A kind of request to carry me, to surround me, to open the air in front of me to allow me to walk without feeling the thickness of the fog constantly surrounding me. A call not to be alone, when everything else hurts. These prayers are extremely rare... When I pray them, I then feel all around me exactly what I need: to be taken in soft arms or to be set free and light. And if it's a placebo effect that I feel around me, not knowing if I'm creating it, that's fine with me too. The important thing is that it protects me extremely well at pivotal and decisive moments.

Finally, and this one is more and more frequent, there are the moments of grace. I walk, I breathe, I feel the warmth, I see the beauty, and suddenly I feel the love so strongly, emerging from everything and everywhere, in me and all around me! And at that very moment, a thank you to “whomever it concerns” builds up in me and sometimes even slips from my lips. A micro-prayer that asks for nothing. A word to underline the good and to name its passage in a sea of impermanence. Attention, though, meditation, to patiently allow silence to emerge, that’s not easy for me. One day, maybe... Soon, maybe... Or maybe as a retreat project, who knows!